Lorsque je parle de design d’interface, il y a des questions que l’on me pose régulièrement : quels sont les mécanismes qui rendent les expériences mémorables et désirables ? Qu’est-ce qui fait que pour deux services digitaux identiques, on va préférer l’un plutôt que l’autre ?
Au bout de 10 ans de projets digitaux et de recherche UX, il m’est apparu évident qu’il n’existe pas de recette miracle pour booster l’engagement et la désirabilité de nos produits digitaux et sites Internet (je sais, vous êtes déçus), même s’il existe de bonnes pratiques que nous verrons plus bas.
La réussite d’un projet passe par l’assemblage de compétences et l’exigence que l’on place dans toutes les étapes de la création d’une application ou d’un site Internet : compréhension des usages, prise en compte des datas, ergonomie, design, contenus, choix techniques et mécanismes de diffusions sont autant de pièces du puzzle de la réussite.
Parmi toutes ces étapes, la compréhension des réactions humaines a pris de plus en plus d’importance dans les facteurs de succès, et pour cause : nous sommes tous des êtres complexes, dotés de réactions émotionnelles aux granularités différentes. Il a donc fallu remettre la compréhension des émotions au centre de nos enjeux de création, c’est de là qu’est né le design émotionnel.
La réussite d’un projet passe par l’assemblage de compétences et l’exigence que l’on place dans toutes les étapes de la création d’une application ou d’un site Internet
Qu’est ce que le design émotionnel ?
Le design émotionnel c’est donc la volonté de placer les comportements humains au centre d’une démarche de design, de prendre en compte les réactions engendrées par les actions des utilisateurs et de les transformer en opportunités. Les émotions ne sont pas dans l’interface, nous dit notamment Don Normann, le pionnier et père fondateur de la notion d’UX design. Il nous fait prendre conscience qu’elles sont dans chacun de nous. Le design émotionnel va donc consister à susciter des émotions positives chez les utilisateurs, et ce afin de rendre nos expériences singulières et marquantes.
C’est une démarche qui a notamment été décrite par le fondateur de Mailchimp, Aaron Walter dans son livre, où il décrit les mécanismes qui permettent de comprendre et d’utiliser le design émotionnel pour créer de l’engagement. Cette démarche, il l’a expérimentée et utilisée avec succès au sein même de Mailchimp : on se souvient notamment tous de l’utilisation d’un bébé singe dans le logo de Mailchimp, ou des pop in aux messages soignés et à la tonalité chaleureuse, et ce afin de rassurer les utilisateurs de la plateforme et de créer de l’empathie avec le service.
Composantes et champs d’application
Le design émotionnel influe donc sur les réactions humaines. Plus précisément il permet d’avoir un impact sur 4 composantes de l’engagement :
- Mémorisation : une émotion se mémorise facilement. Plus elle est forte et plus la mémorisation sera profonde et durable dans le temps. On se souvient tous de nos plus grandes émotions.
- Utilisabilité : une émotion positive décuple l’envie d’aller plus loin dans la découverte et l’apprentissage. Par exemple lorsque l’on travaille avec soin le maillage et l’UX des transitions entre les pages d’un site internet ou d’une application, les utilisateurs visitent plus de pages et plus longtemps.
- Prise de décision : une émotion nous permet de prendre des décisions, en bien ou en mal. Déclencher l’acte d’achat est notamment un enjeu fort, le design émotionnel permet en partie d’y répondre.
- Appartenance : une émotion positive renforce le sentiment d’appartenance, on a l’impression de vivre une expérience personnalisée.
Les champs d’application du design émotionnel sont larges : digital, packaging, design volume, architecture, branding, communication… c’est une démarche de conception globale, de l’objet émotionnel jusqu’à l’emotional UX design des applications et sites Internet, ou des objets AR.
Apple, par exemple, travaille sur le design émotionnel de chacune des interactions avec ses clients pour proposer des expériences singulières et positives, en partant du design d’un objet émotionnel, au travers de la présentation de cet objet, dans l’expérience d’achat sur le site Internet, lors l’ouverture de l’emballage… bref, à tous les étapes de la vie du produit. Apple à fait du design émotionnel une composante indissociable de son expérience, lui apportant une empreinte personnelle et unique, suscitant le fameux Wow effect tant recherché.
Les champs d’application du design émotionnel au sein du webdesign sont larges : digital, packaging, design volume, architecture, branding, communication… c’est une démarche de conception globale.
Cartographie et granularité des émotions
La palette des émotions de l’être humain est vaste et il existe de nombreuses composantes à appréhender qui peuvent nous servir pour accomplir des objectifs tout aussi variés. Les émotions sont complexes, différentes d’une personne à une autre, peuvent être positives et négatives, mesurées ou puissantes.
Quand on parle d’émotion tout n’est donc pas noir ou blanc. Les émotions sont graduelles, et il existe des grands ensembles, ainsi que des sous-ensemble. La palette des émotions est donc large. Elle a été observée puis classifiée par Alan S. Cowen et Dacher Keltner, qui ont fait émerger 27 catégories distinctes d’émotions humaines.
Les grandes familles d’émotions sont :
- Optimisme
- Amour
- Soumission
- Crainte
- Désappointement
- Remords
- Mépris
- Agressivité
Le design émotionnel au service de l’expérience utilisateur
Les émotions nous permettent de mieux mémoriser les expériences utilisateurs que nous faisons, de les graver dans notre subconscient. La force de l’émotion permet d’imprimer durablement l’empreinte expérientielle, en bien ou en mal.
Nous savons aujourd’hui que 95% des personnes qui vivent une mauvaise expérience la partagent.
Qui d’entre vous n’a pas déjà été confronté à une mauvaise expérience sur un site ou une application, et s’est empressé de la partager avec ses amis ou ses collègues ? La colére, la contrariété ou le mépris sont notamment des émotions fortes, qu’il convient de traiter pour éviter des grandes déconvenues.
A contrario, il a été également démontré que la joie est un puissant moteur pour susciter de l’engagement. Elle met l’utilisateur dans un état naturel qui permet d’entrevoir davantage de possibilité pour faire passer des idées.
Tinder est notamment arrivé à placer les émotions au coeur de sa stratégie expérientielle, avec le succès que nous lui connaissons aujourd’hui.
La force de l’émotion permet d’imprimer durablement l’empreinte expérientielle, en bien ou en mal.
Airbnb, Wetransfer, et Spotify ne proposent pas des services de mise en relation, ils proposent des expérience émotionnelles positives où le but est d’inspirer les internautes.
Le design émotionnel va donc permettre de susciter des émotions pour réaliser certains objectifs :
- Susciter de l’affect
- Entamer une relation avec une marque
- Fidéliser des utilisateurs
Stratégie de design émotionnel
Réfléchir à une stratégie de design émotionnel c’est prendre en compte les émotions à toutes les étapes de la vie d’un projet depuis sa genèse jusqu’à son fonctionnement.
Dans un premier temps il est indispensable de se pencher sur les motivations et la psychologie des individus. Une démarche de design émotionnel va donc puiser ses fondements dans la recherche ethnographique, l’anthropologie et les sciences humaines. On traitera logiquement le sujet sur deux niveaux, la compréhension des usages macro et micro.
Bonnes pratiques pour appliquer le design émotionnel à votre stratégie
Mettre en place une démarche de design émotionnel est particulièrement bénéfique pour l’expérience utilisateur de votre site Internet ou de votre application.
Voici quelques bonne pratiques qui peuvent vous aider à aborder cette démarche :
Personnalisation et customisation de l’expérience : mettre en place des parcours personnalisés permettra de décupler le sentiment d’appartenance et de susciter durablement de l’engagement.
Images inspirantes : utilisez des images ou des vidéos qui permettent aux utilisateurs de les inspirer, et de montrer que vous avez compris ce qu’ils souhaitent voir.
Wetransfer en a fait son fond de commerce depuis plusieurs années. Au travers de la présentation d’images inspirantes en random, Wetransfer propose un moment d’évasion et d’inspiration. Aujourd’hui Wetransfer s’est diversifié et présente même des petits jeux divertissants.
Moments d’enchantement : lorsque l’on parle d’expérience utilisateur, il faut toujours garder à l’esprit que la notion de rythme est importante et qu’il faut chercher à dynamiser ce rythme en insérant des moments d’enchantement, des expériences plus ou moins ambitieuses mais suffisantes pour provoquer des réactions positives. Gamification, promotions et petites attentions permettent de générer de la satisfaction subite et donc de l’engagement.
Humanisation de la tonalité éditoriale : L’objectif est de susciter de la connivence, de vous rapprocher d’une tonalité parlée, en utilisant un langage plus naturel.
Humour : on n’a pas le même humour, certes, mais faire sourire les utilisateurs peut permettre de les mettre dans les meilleurs dispositions pour mieux leur faire passer des idées.
Storytelling : tout le monde aime les histoires, drôles, tristes, passionnantes ou romancées. On a trop tendance à l’oublier quand on présente son activité et son produit. Le storytelling permet de susciter des émotions qui vont embarquer les utilisateurs pour leur permettre de vivre des expérience riches et de susciter de l’empathie.
Microinteractions : lorsque l’on navigue sur un site Internet ou une application, on peut arriver à susciter des émotions en insérant de petites animations ou interactions qui vont permettre d’apporter de la vie dans les parcours utilisateurs et de susciter également de l’étonnement positif. Cependant, il faut toujours veiller à respecter un équilibre, ne pas chercher à trop en faire.
Du design émotionnel au marketing émotionnel
Si le design émotionnel est au coeur des enjeux d’expérience, le marketing émotionnel est le bras armé de l’engagement. Le marketing émotionnel concerne tous les mécanismes de promotions d’un service ou d’un produit qui utilisent les émotions pour susciter de l’intérêt et/ou une réaction.
L’objectif du marketing émotionnel, vous l’aurez bien compris c’est de comprendre comment les réactions vont influencer les mécanismes de prises de décisions, afin de déclencher plus facilement les actes d’achat.
Certaines marques sont passées maîtres dans le marketing émotionnel. Il s’agit pour elles de développer une image forte et différenciante, ponctuée d’images et de vidéos marquantes au storytelling bien pensé.
Par exemple Evian utilise l’image de bébé pour nous proposer une cure de jouvence, Benetton des images multi ethniques pour nous rassembler sous une seule bannière, Coca Cola met le bonheur en bouteille et Red Bull se dresse en étendard d’une vie boostée à l’adrénaline. Dans le marketing émotionnel les symboles sont importants, ils doivent marquer durablement les consciences et nourrir le sentiment d’appartenance à une communauté.
Si le design émotionnel est au coeur des enjeux d’expérience, le marketing émotionnel est le bras armé de l’engagement.
L’humain est votre cible
Vous l’avez compris, le design émotionnel est aujourd’hui un composante importante de la valeur que l’on accorde à l’expérience d’une marque, d’un site ou d’une application. On s’est rendu compte ces dernières années qu’il était fondamental de redonner du sens à nos concepts, de chercher un moyen de contribuer au bien être et au bonheur des utilisateurs, le fameux “No bullshit”. Les démarches qui ramènent de l’émotion permettent donc de redonner un nouvel élan aux marques, de remettre l’humain et ses émotions au centre des enjeux de création et c’est, nous en sommes convaincus, une très bonne chose. Elles permettent d’entrevoir aujourd’hui un retour vers le tangible, une nouvelle ère de création tournée définitivement vers l’humain et qui s’annonce sans aucun doute passionnante.